École pratique des hautes études,
Section des sciences religieuses
Conférence de M. Kristofer M. Schipper
Kristofer M. Schipper
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Schipper Kristofer M. Conférence de M. Kristofer M. Schipper. In: École pratique des hautes études, Section des sciences
religieuses. Annuaire. Tome 86, 1977-1978. 1977. pp. 95-98;
http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1 977_num_90_86_1 5276
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Cortférence de M. K..M. Schipper
Recherches sur le corps taoïste
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Nous avons lu, en partie, le chapitre VII (le Discours sur l’Esprit
Vital) du Houai-nan-tseu, comme exemple des systèmes théoriques des
relations entre le corps humain et son environnement. Nous avons
d’abord évoqué les circonstances historiques et politiques qui sont à la
source de la compilation de l’ouvrage du Prince de Houai-nan (mort en
122 av. J.-C.).
Contrairement à l’opinion de Wallacker (The Huai-nan-tzu, New
Haven 1962), l’ouvrage n’est pas antérieur à l’avènement de ce qu’il est
convenu d’appeler l’orthodoxie confucianiste de l’Etat Han, mais en est
au moins contemporain, sinon postérieur. Il est même permis de penser
que le Houai-nan-tseu pourrait être une réponse « taoïste » à l’établisse-
ment du centralisme absolutiste à la Cour. A ma connaissance, les
circonstances ainsi que les retombées immédiates de ce changement
capital dans l’histoire politique et idéologique de la Chine n’ont jamais
fait l’objet d’une étude approfondie et détaillée.
Quand, en 191,1e ban contre les « Cent Ecoles » philosophiques est
levé, on ne trouve guère de Confucianistes à la Cour. L’impératrice Lu
est connue comme Taoïste. Wen-ti s’intéresse aux Sophistes, dont la
pensée syncrétiste est en accord avec l’orthodoxie de l’époque. Très peu
de Docteurs (po-che) de l’Académie Impériale sont confucianistes. Les
sympathies de King-ti vont de nouveau vers les Taoïstes. Les historiens
ont vu là l’influence de l’impératrice douairière Teou. Mais un des
grands lettrés du règne est Tong Tchong-chou, auteur du Tch’ouen-
ts’ieou fan-lou, œuvre basée sur les classiques confucianistes. On peut
dire de cet ouvrage qu’il est avant tout syncrétiste et universaliste, et
par là bien différent de la philosophie confucianiste d’après Wou-ti. Ce
changement est décrit dans le Che-ki comme étant le résultat d’intri-
gues de palais suscitées par le jeune empereur pour combattre l’influen-
ce de l’impératrice Teou et renforcer son pouvoir personnel. Avec l’aide
de son oncle maternel, T’ien Fen, il attire à sa Cour une nouvelle géné-
ration de spécialistes confucianistes, dont les convictions sont aux anti-
podes du fédéralisme féodal de Confucius lui-même et opposées au
pluralisme syncrétique taoïste.
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RELIGIONS DE LA CHINE
L’année 135 voit la mort de l’impératrice Teou et la réforme de
l’Académie Impériale. Celle-ci sera désormais monopolisée par les
nouveaux Confucianistes ; Tong Tchong-chou est ridiculisé et menacé
de mort. K’ong-souen Hong présente le Mémoire sur les Examens,
document qui est à la base de l’institution de la bureaucratie confucia-
niste, pilier du régime césariste de Wou-ti. Le pouvoir des princes,
grands féodataires de la maison impériale, en sera diminué d’autant.
L’œuvre du prince de Houai-nan, Lieou An, neveu de l’empereur, a dû
être écrite durant cette période de transformations profondes. Il n’est
pas impossible d’envisager, à titre d’hypothèse, que les savants de l’en-
tourage du prince qui compilèrent le Houai-nan-tseu étaient ceux-là
mêmes que l’instauration de l’absolutisme « confucianiste » avait écar-
tés de la Cour et de l’Académie Impériale. Lieou An, accusé de sédi-
tion, fut contraint au suicide en 122. Le livre actuel constituerait la
partie « ésotérique », nei-chou, des textes compilés à sa Cour. Il aurait
été retrouvé dans sa demeure quelque cent ans après sa mort. D’emblée,
l’ouvrage fut considéré comme hétérodoxe. Malgré son caractère
syncrétiste, il a été classé parmi les textes taoïstes, à cause de la bipola-
risation confucianiste-taoïste qui a fini par dominer la pensée chinoise
après le règne de Wou-ti.
Dans le chapitre VII, le corps humain est présenté comme le résultat
d’apports multiples d’essences diverses ; sa nature hétérogène est celle
de l’univers. La création procède, à partir de l’origine, à une diversifica-
tion toujours grandissante. Le développement de l’homme dans la
matrice va dans le même sens. Le chapitre VII met côte à côte la
cosmogonie du Lao-tseu XLI et la croissance de l’embryon : ... « à la
première lunaison, c’est comme un onguent ; à la deuxième se forment
les articulations, la troisième, l’embryon, la quatrième, la chair, la
cinquième, les tendons, la sixième, les os, la septième, la forme est
complète, la huitième, le fœtus se retourne, la neuvième, il bouge, la
dixième, il naît ». Nous avons comparé ce passage au « Chant des Dix
Lunaisons de la Grossesse » (Che-yue houai-t’ai) du folklore chinois,
que l’on retrouve aussi bien lors des grandes fêtes communautaires que
lors des funérailles. Coutume qui peut paraître curieuse, mais qui
accuse la fonction du renouveau du cycle cosmique dans la célébration
des grandes échéances du corps physique aussi bien que du corps
social. La grossesse représente ainsi le modèle du temps cyclique
parfait.
A la suite de ce texte, nous nous sommes intéressés à un ouvrage du
début du v* siècle de notre ère, le Kieou-t’ien cheng-chen tchang-king
(Tao-tsang n° 318). Ce Kieou-t’ien cheng-chen tchang-king (Livre des
Stances des Esprits Vitaux des Neuf Cieux) - comme ce texte est appelé
communément - appartient au groupe des écrits du Ling-pao catalo-
gués par Lou Sieou-tsing dans son Ling-pao king-mou.
K.M. SCHIPPER
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Le texte peut être divisé en trois parties. La première, qui porte le
titre de San-pao ta-yeou, décrit les trois ères qui ont précédé ce monde,
gouvernées successivement par le T’ien-pao-kiun, le Ling-pao-kiun et le
Chen-pao-kiun. Ces San-pao sont assimilés aux Trois Souffles Primor-
diaux, aux San-tong et aux San-ts’ing. Les Trois Souffles se multiplient
par trois, et produisent les Dix-Mille Choses. Cette cosmogénèse est
identique au développement du fœtus. A la naissance de l’enfant, le
Kieou-t’ien sseu-ma récite les Stances des Esprits Vitaux des Neuf
Cieux, faute de quoi aucune genèse n’est possible. Ces Stances sont les
sons spontanés produits par les souffles primordiaux, les écritures
merveilleuses de la création. Leur récitation produit partout la vie et
assure à l’adepte l’immortalité. Par neuf récitations, il réunit autour de
lui tout le panthéon, et ce même procédé lui permet de diviniser son
corps.
La deuxième partie décrit la révélation du texte par le Yuan-che t’ien-
tsouen dans la Chambre Jaune. Le Fei-t’ien ta-cheng wou-ki cheng-
wang intervient en disant que la fin de l’ère présente approche. L’année
kia-chen verra des catastrophes dont seul le Peuple-Semence réchappe-
ra. Il supplie le Yuan-che t’ien-tsouen de révéler les secrets des Neuf
Cieux pour sauver les êtres humains. Le T’ien-tsouen, enfreignant la loi
relative aux délais de transmission, ordonne au Kieou-t’ien sseu-ma de
révéler les stances.
Celles-ci forment la dernière partie de l’ouvrage : d’abord celles qui
correspondent aux Trois Cieux des San-pao, puis celles des Neuf
Cieux, avec le nom de l’Esprit Vital qui correspond à chacun d’eux. A
la fin on trouve un hymne du Tai-ki tchen-jen qui doit ici être Ko
Hiuan.
De nombreux exposés ont enrichi notre séminaire de cette année.
Mademoiselle Liu Li a présenté un excellent travail sur le Chen-sien-
tchouan et sur la notion d’immortalité chez Ko Hong. M»e Clotilde
Bornhauser a présenté un texte ancien sur le tao-yin (circulation des
énergies dans le corps), le T’ai-ts’ing tao-yin yang-sheng king. M. Jean
Lévi nous a parlé de son étude sur la diététique taoïste, notamment sur
l’abstention des céréales. Mme Koffler a expliqué un court traité
doctrinal, le Chang-ts’ing-king pi-kiue. Mme Brigitte Berthier a donné
une analyse de la légende de la sainte Tch’en Tsing-kou, la « Troisième
Dame ». M»e Caroline Gyss a expliqué un texte doctrinal écrit par le
peintre taoïste Houang Kong-wang (1269-1354), le Tche-tcheou sien-
cheng ts’iuan-tchen tche-tche. Mme Catherine Despeux a analysé un
texte sur le tao-yin et l’alchimie intérieure, le Ling-kien-tseu tao-yin
tseu-wou ki. Enfin, M. Marc Kalinowski a présenté son étude sur le Lu-
che tch’ouen-ts’ieou. Dans l’ensemble, les exposés ont été excellents et
ont abordé des sujets souvent entièrement nouveaux.
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RELIGIONS DE LA CHINE
Signalons enfin la première projection du film documentaire sur les
rites funéraires taoïstes de M. Patrice Fava, qui constituera la deuxième
partie de son tryptique « Les Dieux de la Chine ».
Elève diplômée : Mme Catherine Despeux.
Elèves titulaires : Mmes Berthier, Koffler, Mues Bornhauser,
Dumont, Gyss, Leon, Liu, MM. Carre, Denes, Fava, Kalinowski,
Koffler , Lagerwey , Levi .
Auditeurs assidus : Mmes Larrivet et Nolet, M»e Macdonald,
MM. Andersen, Bazannery et Way.
Publications du directeur d etudes
- « Quelques remarques sur la fonction de l’Inspecteur des Mérites »,
in : Dokyo no zohoteki kenkyu, Sakai Tadao éd., Tokyo, 1977,
pp. 252-290 (en japonais).
- «The Taoist Body », in History of Religions, vol. 17, n° 3 et 4,
pp. 355-386.
- Tchen-tong Tao-tsang, Taipei, Yiwen Publ. Company, 1977, vol. 61.
Introduction, Table des Matières et Index, 2, 51 et 490 pp. (en
chinois).
Autres activités
- Mission à Taiwan en juillet et août 1977, sur l’invitation du Kiao-
yeou-pou Kouo-tsi Wen-kiao-tchou de Taipei.
- Invité (Ehrengast) au XX e Deutscher Orientalistentag à Erlangen
du 3 au 8 octobre 1977, a présenté une communication intitulée
« Corpus Taoicum ».
- Invité à un congrès sur les traditions populaires en Asie Orientale, a
présenté une communication intitulée : « Taoist Ceremonies in the
Sokyôktjon of the Yi Dynasty ».
- Invité, le 16 janvier 1978, en qualité de « Gastdozent », par la Facul-
té des Lettres de l’Université de Zurich, a donné une conférence dont
le titre était : « The Taoist Body ».
- Communication sur la situation actuelle des études chinoises en
Europe, lors de la réunion de la Commission Permanente pour les
Sciences Humaines de la Fondation Européenne de la Science, le 20
avril 1978, au siège du C.N.R.S. à Paris.